Déclaration du Général Brice Clotaire OLIGUI NGUEMA

Déclaration du Général Brice Clotaire OLIGUI NGUEMA
Président de Transition de la République Gabonaise, Chef de l’Etat
Au Débat général de la 78ème Session de l’Assemblée générale

des Nations Unies

New York, 22 septembre 2023

Monsieur le Président de l’Assemblée générale,

Monsieur le Secrétaire général,

Excellences, Mesdames et Messieurs,

Monsieur le Président,

 

Je vous adresse mes chaleureuses félicitations pour votre élection à la présidence de cette 78ème session ordinaire de l’Assemblée Générale.
Je rends hommage à votre prédécesseur, Monsieur Csaba KÖRÖSI, pour le travail accompli pendant son mandat.
j’exprime la confiance de mon pays au Secrétaire Général, Antonio GUTERRES, dans l’action audacieuse et multiforme ainsi que les importantes réformes qu’il entreprend, en vue d’accélérer la réalisation des objectifs de développement durable d’une part, et de promouvoir la paix et la sécurité internationales d’autre part.
Monsieur le Président,

Je me tiens devant cette auguste assemblée dans un contexte sans précédent pour mon pays passé par la case frayeur à la suite d’un processus électoral chaotique interrompu le 30 août dernier par les forces de défense et de sécurité. Naturellement cette intervention a été condamnée par la Communauté internationale au nom de la violation des exigences démocratiques de dévolution du pouvoir.
Il est cependant utile, pour l’équilibre de l’information et pour dissiper certaines suspicions, de rappeler précisément le contexte politique gabonais qui a précédé et justifié cette prise de pouvoir. On aurait tort, de notre point de vue, de prononcer des sentences sans nuance et de faire des amalgames faciles, désaccordés des réalités de notre contexte.
Qu'il me soit en tout premier lieu permis de rappeler au souvenir de chacun l’expérience de l’élection présidentielle de 2016 dont la situation actuelle est l’une des conséquences. Tout le monde s’en souvient, cette élection a fait l’objet d’un rapport circonstancié de la Mission électorale de l’Union européenne qui y avait dénoncé un processus frauduleux, insincère et dépourvu de toute transparence avec des résultats défiant les lois de la statistique. Elle a surtout été caratérisée par des violences avec de nombreuses pertes en vies humaines et d’importantes dégradations de biens pour l’ensemble de la collectivité.
Pour tenter de désamorcer cette situation dont le coût social a été élevé, il a été organisé en 2017 un succédané de dialogue qui s’est tout de même soldé par le retour des scrutins à deux tours. C’est cette petite concession à la démocratie qui a de nouveau été reprise au premier semestre 2023 avant même qu’elle ne soit expérimentée. Le régime n’entendait donc pas renoncer à sa stratégie de fraude.
De 2017 à 2022, aucune préparation des élections prévues constitutionnellement de se tenir au plus tard le 26 août 2023 n’a été entreprise. Cette dernière n’a commencé qu’en février 2023 et a concentré un nombre invraisemblable d’entorses et de distorsions faites au cadre constitutionnel, législatif et réglementaire des élections y compris, alors même que le processus électoral était déjà lancé. Je peux citer entre autres, si vous me permettez cet inventaire non exhaustif :
le retour aux élections à un tour ;
le choix d’un président du Centre Gabonais des Elections notoirement partial, en raison de sa qualité de membre connu du parti au pouvoir ;
l’absence de fiabilité du fichier électoral affecté par la présence nombreuse de personnes décédées ;
la suppression des dispositions permettant la représentation de tous les candidats dans les bureaux de vote en violation flagrante du principe d’égalité ;
la modification, en violation du simple principe de la hiérarchie des normes, des dispositions législatives issues de la loi portant dispositions communes à toutes les élections politiques par voie de décret ;
le couplage des candidatures aux élections présidentielle et législative.
On peut observer que toutes les saisines faites par les différentes composantes de l’opposition et de la société civile pour contester ces modifications ont été rejetées sans examen par une Cour constitutionnelle inféodée au pouvoir.
Tout observateur attentif, honnête et de bonne foi de la vie politique gabonaise de ces dernières années avait pleinement conscience de la dégradation de la situation. Les uns et les autres au sein de l’opposition gabonaise sont allés voir des missions diplomatiques puis ensemble le 9 août 2023, se sont rendus chez le représentant spécial du Secrétaire Général des Nation Unies pour l’Afrique centrale résidant à Libreville au Gabon pour le prévenir du tournant que prenait le processus électoral et du danger qu’il y avait à maintenir sa conduite en l’état de toutes ces constatations.
Or, je veux le redire ici sans ambiguïté, ni les acteurs politiques, ni les électeurs, personne n’était prête à accepter une nouvelle forfaiture électorale.
Cette détermination connue de tous n’a pas empêché le Centre gabonais des élections d’acheminer les urnes sous son contrôle exclusif et sans aucune étanchéité, de procéder frauduleusement à des modifications de procès-verbaux dans les lieux de centralisation des résultats distincts des lieux où les élections s’étaient tenues. La prise en compte de résultats obtenus de cette manière ne pouvait déboucher, le lendemain de leur proclamation, que sur des affrontements.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,

Dans une telle logique, les forces de défense et de sécurité avaient le choix entre : se préparer à réprimer ces protestations avec le risque tôt ou tard d’être poursuivies devant les juridictions internationales en raison de leur responsabilité ou alors ; décider d’interrompre un processus frauduleux et dangereux pour la cohésion nationale. Elles ont choisi de façon responsable la seconde voie pour conjurer le risque d’un incendie dont l’embrasement aurait ébranlé les fondements même de la société gabonaise et n’aurait pas épargné les nombreuses populations étrangères vivant au Gabon. Il n’aurait pas été responsable de laisser prospérer une situation confuse. Le basculement dans un cycle de violences aurait constitué un désastre d’ensemble.
En conséquence, cette intervention militaire sans effusion de sang, sans aucun dégât matériel constaté a été un moindre mal. La population l’a approuvé dans une très large majorité par des scènes de liesse spontanée que chacun a pu suivre partout dans le monde grâce aux images qui ont circulé et la majorité de la classe politique s’est trouvée soulagée d’avoir évitée une issue incertaine.
Dès lors, condamner un tel processus, c’est soutenir qu’il aurait mieux valu laisser les affrontements se faire et venir recenser ultérieurement le nombre de victimes puisque personne, dans l’opposition, n’était disposé à laisser ce énième hold-up électoral s’opérer.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,

Si une telle intervention a été nécessaire, l’on ne saurait se contenter d’un statut quo. Il faut sans délai, dans une démarche inclusive, préparer les réformes et revenir à un jeu institutionnel ordinaire qui permette la dévolution du pouvoir par les élections.
La feuille de route du gouvernement de transition que je conduis depuis deux semaines vise à restaurer la confiance, à procéder à des corrections majeures du cadre des élections, à restaurer les institutions et à préparer la mise en œuvre de ces réformes.
Les livrables attendus de cette concertation seront à la suite d’une conférence nationale, l’adoption d’une nouvelle constitution reflet de notre contrat social ainsi que l’adoption d’un bloc légisaltif comprenant notamment une loi électorale garante de scrutins transparents, libres et crédibles.
C’est pourquoi j’ai d’ores et déjà annoncé, pour la semaine prochaine, une conférence de presse au cours de laquelle j’indiquerai le calendrier des consultations de l’ensemble de la classe politique ainsi que de la société civile. Je mettrai à profit cette occasion pour décliner le chronogramme des différentes étapes qui nous conduiront à de nouvelles élections.
Dans cette perspective, ce dont le Gabon a le plus besoin, c’est d’un encouragement et d’un accompagnement pour conduire ces chantiers dans des délais que chacun veut raisonnables. Je saisis donc cette occasion pour lancer un appel sollennel à l’ensemble de nos partenaires bilatéraux, régionaux et multilatéraux pour accompagner et soutenir l’élan populaire de salut national en vue de renforcer les fondements de l’état de droit et de la démocratie pour une prospérité partagée.
Dans cette phase charnière de notre destin et de notre histoire, le peuple gabonais qui s’unit dans la concorde autour du Comité de Transition pour la Restauration des Institutions (CTRI) se souviendra avec reconnaissance de la solidarité et de la confiance des peuples d’Afrique et du monde entier qui se tiendront à ses côtés pour l’aider à préserver toute sa place dans le concert des nations.
Monsieur le Président,

78 ans après la création de l’ONU, un cycle sans fin de crises continue d’assombrir l’aspiration et l’horizon de la paix durable entre les nations et au sein des nations.
Les multiples crises de solidarité, crises sécuritaires, crises humanitaires, crises sanitaires, crises climatiques, et crises géopolitiques, alimentent les sentiments de défiance à l’égard des institutions et mécanismes internationaux.
En effet, de façon patente, le système de sécurité collective et indivisible prôné par la Charte des Nations unies apparaît comme une fiction dans de nombreuses régions du monde en proie aux soubresauts de la guerre, notamment en Afrique où la région du Sahel, la Corne de l’Afrique, la région des Grands Lacs sont devenus de véritables épicentres de l’instabilité.
Dans la plupart de ces régions, la prédation des ressources naturelles constitue une source importante de conflictualité au point qu’elles deviennent une véritable malédiction pour les pays qui les possèdent.
Monsieur le Président,

Nous nous trouvons aujourd’hui à un point d’inflexion qui exige de chacun des membres de la communauté internationale, une réappropriation des objectifs de la Charte des Nations Unies et une réconciliation avec les aspirations des peuples du monde.
Il est fondamental de reparamétrer le contrat social entre nations indépendamment de leur taille ou de leur envergure, en gardant bien à l’esprit que chaque peuple compte.
Nous devons surtout recalibrer la projection de notre identité en tant que peuples du monde en donnant la primauté à chaque fois au dialogue sur l’affrontement ; à la coopération sur la logique de camps qui s’opposent.
Nous devons sans plus attendre, procéder à une véritable transformation structurelle de l’architecture de paix et de sécurité de notre organisation ainsi qu’à l’adaptation de nos mécanismes de promotion de la paix et de sécurité, à un contexte global de crises et de conflits en constante mutation.
C’est toute la pertinence de la thématique de la présente session axée sur la nécessité de rétablir la confiance et de raviver la solidarité pour accélérer la mise en œuvre du Programme 2030.
Monsieur le Président,

Le Gabon réaffirme que la prévention est un outil plus qu’essentiel, qui doit figurer au centre de nos actions, si nous voulons une paix consolidée et durable. Les efforts de la communauté internationale en matière de prévention ont été jusqu’ici lents, peu adaptés et peu financés.
En effet, l’absence de ressources adéquates affectées aux actions de notre organisation en faveur de la prévention et à la consolidation de la paix a hélas fortement contribué soit à la résurgence de crises en période de transition ou à faire naître de nouveaux conflits.
Notre génération a une responsabilité envers les générations futures, celle de leur léguer un monde plus sûr, un monde dans lequel les menaces à la paix et à la sécurité liées à la prolifération des armes de destruction massive est endiguée, un monde sans menace nucléaire.
Monsieur le Président,

Il demeure un fossé considérable entre nos actions et nos engagements. Il est temps de le combler notamment sur la question cruciale du financement de l’action climatique.
Le Gabon a consenti plusieurs décennies d’investissements sur la préservation de la biodiversité et fait preuve d’un engagement constant dans la lutte contre les changements climatiques.
Les nouveaux pactes financiers dette-nature offrent des opportunités d’accroître les budgets consacrés à la protection de la biodiversité de répondre à l’insoutenabilité de la dette des pays en développement et de lutter contre les changements climatiques. À travers ce nouveau mécanisme de finance verte, mon pays vient de bénéficier d’une restructuration de 3 % de sa dette contre un engagement à investir 163 millions de dollars dans la préservation de ses écosystèmes marins.
Nous devons aller plus loin dans cette dynamique. J’invite donc les partenaires financiers internationaux à multiplier les initiatives de conversion de dette pour faire face aux défis du réchauffement climatique, de la perte de la biodiversité et du développement durable. C’est par une approche multilatérale et la réinvention de nos réponses que nous pouvons efficacement relever les défis multiformes qui se posent à l’humanité.
Monsieur le Président,

Le Programme de développement durable 2030 constitue notre feuille de route commune pour relever les défis mondiaux. Cependant, à moins de 10 ans de l'échéance, les progrès sont inégaux et insuffisants. La pauvreté, la faim, les inégalités sociales, les carences en matière de santé et d’éducation, l’absence de financement adéquat en faveur des objectifs de développement durable, mettent fortement en péril la réalisation de cet ambitieux programme.
Tout au long de la transition que je conduis, j’envisage de redoubler les efforts de mon pays pour accélérer la mise en œuvre de l’agenda 2030 en renforçant de façon pratique et pragmatique, les politiques nationales et en encourageant les partenariats innovants entre secteurs public et privé.
Par ailleurs j’entends mettre un accent sur l'action au niveau local par les autorités, la société civile et le secteur privé en impliquant pleinement les citoyens, notamment les jeunes et les femmes.
Il est fondamental que la communauté internationale puisse accroître son soutien aux pays en développement. Des financements supplémentaires sont en effet nécessaires, en particulier pour les pays les plus vulnérables.
Les différents sommets organisés en marge de cette session, notamment sur le financement du développement, l’ambition climatique, la couverture universelle, sont l'occasion pour la communauté internationale de concrétiser sa volonté d'action commune en vue d’accélérer la réalisation des ODD.
Monsieur le Président,

Au sein du système des Nations Unies, l’exclusion et la marginalisation sont de redoutables prédatrices de notre vivre ensemble. L’Afrique doit pouvoir trouver sa juste place en tant qu’acteur à part entière de la scène internationale et non comme un simple enjeu géopolitique des puissances.
En effet, plus de 78 ans après la création de l’ONU, le monde a complètement changé. Le contexte international a complètement changé. Le paysage géopolitique a complètement changé. La nature des guerres a littéralement été métamorphosée. La technologie a complètement transformé notre vie quotidienne. Mais, la structure de nos institutions reste essentiellement inchangée, en particulier en ce qui concerne notre sécurité collective.
Pour relever les défis de l’avenir, notre architecture de sécurité devrait refléter les réalités actuelles et futures. Nous devons effectuer une mise à jour de nos institutions internationales, de nos mentalités, de nos perceptions d’une paix durable, d’une prospérité partagée et du vivre-ensemble. Nous devons réinventer les solutions aux menaces contemporaines notamment le changement climatique et l’insécurité du cyberespace.
Nous devons faire face à la crise de solidarité internationale qui alimente les crises sous-jacentes sur les plans économique, humanitaire, sanitaire ou alimentaire. Nous ne pouvons pas relever ces défis du siècle présent avec les outils d’un autre siècle.
Monsieur le Président,

A l’aune de ce constat affligeant, nous sommes convaincus de l’urgence d’agir pour donner notamment effet à trois perspectives fondamentales, à même de rendre le système multilatéral plus crédible et plus inclusif.
Premièrement, nous devons réformer le Conseil de sécurité sans plus tarder. Il doit être représentatif de la réalité d’aujourd’hui et des défis actuels et futurs.
Deuxièmement, nous devons redéfinir nos règles et nos mécanismes pour faire face de manière adéquate à l’évolution de l’insécurité et du terrorisme. Il s’agit de garantir l’inclusivité et la solidarité, de façon à ne laisser aucune place à la politique du deux poids deux mesures. Nous devons également nous attaquer plus sérieusement aux causes profondes des conflits et des crises.
Troisièmement, nous devons construire un nouveau contrat social. Un nouveau pacte mondial entre les générations, entre les gouvernants et les gouvernés, entre l’échelle mondiale et régionale, en mettant un accent particulier sur les jeunes, les femmes, la société civile et le secteur privé.
Dans ce nouveau contrat social pour l’avenir, les passerelles doivent en tous lieux, remplacer les murs. L’éducation doit partout repousser le carcan de l’ignorance et de l’intolérance. Le multilatéralisme doit prévaloir sur les postures unilatéralistes. Et la logique du dialogue doit sans cesse prévaloir sur la logique d’antagonisme et de zones d’influence.
Monsieur le Président,

Pour terminer, je voudrais souligner notre exigence de réponse aux générations présentes et futures. Cette solidarité intergénérationnelle est une exigence morale envers ceux qui n’auront pas d’autre choix que d’hériter des conséquences de nos choix d’aujourd’hui. Nous leur devons une réponse qui soit à la dimension de leurs peurs, de leurs besoins et de leurs légitimes aspirations à vivre en paix dans la dignité et la prospérité.
C’est au regard de ces perspectives existentielles que nous avons pris nos responsabilités et que nous sommes résolument engagés à inscrire notre action à la dimension des attentes de notre peuple.

Je vous remercie